Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/374

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blâmable que les méchantes ruptures. Il avait toujours préféré attendre, souffrir lui-même, laisser souffrir aussi, plutôt que de recourir à ces arrachements qui font de l’homme ou de la femme des bourreaux. La somme de chagrin était ainsi plus grande, mais il n’y avait pas ce déni de dignité qui salit et empoisonne.

« Je ne pourrai point, se dit-il. Si elle s’hypnotise sur l’idylle, il faudra se résigner et ne rompre que maille à maille ! Tout se paye. Et l’amour plus cher que le reste ! »

Elle accourait, piaffante. Dans le maillot sombre, elle semblait plus longue ; ses jambes avaient des envergures brusques ; un hâle était venu à ses joues, le nez montrait quelques squames, dues à l’ardeur des météores. Sous le bonnet de caoutchouc, rejeté en arrière, c’était une chevelure en copeaux noirs, chevelure de maugrabine, belle, puissante, mais dure. Telle quelle, dans l’atmosphère fiévreuse, sur la lessive énorme des vagues, sous les nues épaisses que crevassaient des rais nickelés, elle était désirable.

Elle fonça sur lui comme pour une lutte, avec ses yeux affolés d’espace, ses yeux où de plus en plus il découvrait une expression de jeune bête chevaline, elle tendit ses lèvres salées par la mer, empourprées par le vent, toutes crues.

« Quelle est heureuse ! songeait-il avec effroi. Comment va-t-elle revivre parmi l’odeur du papier, de la colle forte, des huiles et de l’encre d’imprimerie ? »

Et il l’accompagna dans la grotte, où elle riait comme une fille des Lacs… Puis ils demeurèrent engourdis sous la roche, tandis que le flot montait avec ses bêtes et que les mouettes ricanaient.

Enfin, il parla :

— Ma petite Lalie… le temps passe.

Elle promena son regard agile sur le vaste