Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/394

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour obtenir toute la sécurité, toute l’aide, tout le bonheur dont disposera l’organisme social, mille fois plus fort, plus subtil, plus ingénieux que de nos jours.

Cette fois, tous applaudirent. À l’idée qu’il n’y aurait plus de grand homme ni même d’homme notoire, une allégresse souleva ces âmes avides de nivellement. La Trompette donna le signal d’un vaste hourvari, et la Tomate qui était perclus, Clarinette à qui un bégayement donnait l’air imbécile, Cambrésy qui n’avait jamais pu apprendre la multiplication et pour qui la division restait un mystère, Boulland qui tentait depuis dix ans de parler en public et qui s’enlisait chaque fois dans un bredouillement, Bollacq qui, mécanicien inepte, demeurait asservi aux basses besognes, Vacheron l’Acacia, qui était battu par sa femme, Mangueraux, qui avait trois fois monté un petit bar et trois fois vu péricliter son entreprise, Vagrel, furieux d’avoir échoué dans ses examens pour le brevet élémentaire, tous acclamaient avec fièvre l’ère où les hommes cesseraient d’être humiliés par la supériorité ou la chance du prochain. Mais Gourjat, Fallandres, Isidore Pouraille, Dutilleul, le petit Meulière, Bardoufle, Alfred le Rouge, Vérieulx, Filâtre, Pignarre, Lévesque, Fourru, d’autres encore, obéissaient à des sentiments plus mystiques : sans faire complètement abstraction de leur vanité, et sans être étrangers à l’envie, leurs cœurs s’échauffaient pour de généreux symboles.

— Un ban pour le gosse ! cria cordialement Alfred le Rouge, il a bien envoyé ça !

— Un ban ! sonna la Trompette.

Les barbes consentirent ; le ban clapota au long de la baraque moisie ; Armand mordit, enflé d’orgueil, à ce gâteau de la renommée qu’il venait de proscrire des sociétés futures. On vit s’esclaffer le père Meulière :