Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/400

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boniques, sulfurées ou oléagineuses. C’était la paix d’un profond dimanche ; les enfants mêmes désertaient la primaire, les chiens frétillaient et multipliaient leurs jeux obscènes, excités par le grouillement des hommes.

D’abord, ce fut une vaste attente.

Pouraille, en bras de chemise, pérorait sur le calcaire crevassé de son seuil, avec le maçon Pirart et le charpentier Vaneresse, pendant que Victorine et Fifine épiaient l’étendue, la mère comme une vieille poule échappée aux casseroles, Fifine, avec ses yeux gris de cendre : toutes deux redoutaient sourdement la venue du peuple et craignaient que leur pécule, célé dans la muraille, ne fût confisqué par la C. G. T. Leurs âmes chétives haïssaient les propos d’Isidore. Fifine, par surcroît, craignait d’être violée…

Depuis l’aurore, Émile promenait une structure cahotante et une tête éberluée ; il hurlait par intervalles et annonçait, selon les sautes de son humeur, la béatitude universelle ou de calamiteuses charcuteries.

— Ça va chauffer ! disait Isidore au maçon Pirart ; à l’heure où je parle, les faubourgs s’apprêtent à marcher sur la Bourse du travail. C’est place de la République que le balayage commencera ! Moi, je file à neuf heures sonnantes. Clemenceau doit être en train de faire ses malles.

La chaleur de trois amers excitant déjà sa mécanique, il apercevait distinctement la frousse des ministres, la fraternisation des soldats et du populaire. Tandis qu’il vaticinait, on vit survenir le mécanicien Goulard, Bardoufle et la Tomate.

Goulard portait un complet marron, exactement adapté à sa structure ; une cravate vert cornichon s’ornait d’une épingle d’escarboucle, la barbe embaumait l’héliotrope et les mains, lavées à outrance, décelaient des ongles coupés de frais, décrassés par