Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/403

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sance, tantôt il apercevait distinctement la tactique d’ennemis noirs, subtils, insaisissables : ils rongeaient comme des termites, empoisonnaient comme des crotales, engourdissaient comme des vampires. Il les signalait à des amis invisibles ; son visage s’échauffait au point qu’il dut le tremper, plus de dix fois, dans l’eau froide.

À huit heures, n’y tenant plus, il se mit à la recherche des Six Hommes, résolu à casser des gueules et à exposer la sienne propre. Déjà, il tenait trois de ses acolytes et, parvenu à la hauteur de Pouraille, il ouït un lambeau de phrase. La barbe hérissée, les lèvres spumeuses, ses yeux tournant de toutes parts leurs étincelles, il leva le gourdin des beaux jours et dansa de fureur :

— Oui… où sont-ils ? Paris est truffé de traîtres, les casernes en sont bourrées, les rues en regorgent : on les sciera entre deux planches, comme ce salaud d’Isaïe !

Tarmouche et Castaigne, concevant que l’exaltation du groupe pourrait croître, et peu enclins à se mesurer deux contre vingt, disparurent derrière la maison Perregault.

Les paroles fermentaient en Dutilleul, si tumultueuses qu’il ne pouvait les éjaculer en bon ordre ; il haletait :

— Toutes les forces de la réaction bourgeoise nous guettent dans l’ombre. Compagnons ! C’est aujourd’hui ou jamais ! Le choc de deux mondes !… Le lion prolétaire va se heurter aux panthères, aux serpents et aux chacals de la bourgeoisie. Prenez garde, nos ennemis ont le guet-apens et le croc-en-jambes. Obéissons aveuglément aux ordres de la C. G. T. et cassons cent mille gueules, nom de Dieu !

Soulignant ce « gaspacho » d’un huit de canne, que répétèrent ses acolytes, il se précipita à l’aventure. Le groupe continuait à grossir. Tous commentaient ces ordres mystérieux dont avait parlé Du-