Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/405

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un grincement de lime. Qui est-ce qui va chauffer, jobard ? Est-ce qu’il y a un four assez grand pour y cuire ta bêtise ? Ah ! tu chauffes tes pieds à courir, comme si tes chaussettes n’étaient pas assez pourries, et tu fatigues ton haleine afin qu’elle rancisse un peu plus le beurre !

Gourjat devint blême comme le plâtre de la façade ; ses membres flageolèrent ; la honte le couvrait d’une sueur froide : c’était la première fois que Philippine le poursuivait dans la rue. À la vue des têtes ahuries, dont quelques-unes commençaient à rire, il conçut la révolte, sa voix s’éleva, chevrotante :

— Mes chaussettes ne sont pas pourries… et jamais mon haleine n’a ranci le beurre.

Dans son désespoir, il déboutonna une de ses bottines ; son pied apparut, vêtu d’une chaussette rayée de vert et de jaune. Il le présentait au nez des assistants, il bégayait :

— Tenez, sentez-le ! Tâtez-le. Vous verrez qu’il est sec et qu’il n’a pas d’odeur.

— Parce qu’il a pris un bain de pieds et mis des chaussettes propres ! glapit l’astucieuse Philippine.

— C’est faux ! c’est faux ! se lamenta la Trompette, ce sont des chaussettes de trois jours, je le jure, et même je n’ai pas lavé mes pieds depuis une semaine.

Tous avançaient la narine avec des grimaces rieuses, tandis que Philippine gloussait :

— Après-demain, ces chaussettes seront plus pourries qu’un vieux camembert ! Qu’est-ce qu’on peut attendre d’un homme qui n’a qu’un poumon et qui est incapable d’avoir des enfants ?

— Je suis capable d’avoir des enfants ! riposta lamentablement Hippolyte.

— Alors, ce serait moi qui ne serais pas capable d’en d’avoir ? Et tu oses me dire ça devant le peuple, ventriloque de bas étage… Va ! tu casseras des cailloux et tu crèveras dans un dépôt de mendiants, comme ton oncle Antoine. Ouste ! à la maison !