Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/424

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celles, sur un de ces frissons qui traversent les assemblées humaines, les prunelles cherchaient le signe mystérieux qui déchaînerait l’ouragan, réduirait les troupes à l’impuissance ou les rallierait à la révolution. La foi croissait ou décroissait, sans que jamais l’incrédulité fût complète. Le piétinement de cette humanité marquait les pulsations de la révolte, de l’inertie, de la gouaille ; il s’enflait, par intermittences jusqu’aux barrages de la police, puis retombait flasque, surmonté d’une écume de cris ; il déferlait du canal aux façades avec un bruit aussi vague que l’émeute elle-même. La horde amenait avec elle un élément encore jeune, car ces formations fugitives ont leur jeunesse et leur décrépitude. Au grouillement du populaire, elle se chargea d’enthousiasme et lança son cri de guerre, d’abord imprécis, dissonant, puis rythmique, mis au point par la rugissante Trompette de Jéricho.

— Allons leur extirper les rognons ! clama Dutilleul.

Ses yeux, deux ronds de phosphore, pâlissaient les poils, les cicatrices, les taches du visage. Haneuse Clarinette dressait une tête de lapin blanc aux yeux écorchés, le torse maigre de Bollacq se tordait en hélice, Alfred secouait sa chevelure rouge comme un drapeau. Filâtre ne cessait de ricaner : petit, opaque, la face tassée, il semblait un dogue verdâtre et barbu ; la Tomate poussait sa trogne dans le dos du maçon Pirart ; l’Empereur du jeu de bouchon et Berguin-sous-Presse tapaient le pavé de leurs godillots énormes, la barbe sablonneuse d’Isidore vibrait en cadence, Vacheron l’Acacia « feulait » à côté de Cambrésy, qui poussait des soupirs épais, en arrondissant ses joues. Baraque broutait sa moustache, Bardoufle haussait ses épaules au point qu’on n’apercevait plus le cou : la tête, sous la carapace du chapeau, semblait une courge velue roulée dans un sillon ; les jeunes anti-