Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/457

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— Pas de grève ! s’en allaient criant les bons drilles qui vagabondaient délicieusement des mannezingues aux chantiers, et des chantiers aux réunions de la Bourse du travail. Les patrons veulent nous acculer à la grève, donc c’est un piège. Nous n’y tomberons pas. « Tant » qu’au lock-out, y se décollera de lui-même.

La Voix du peuple publiait un article de tête : Déclaration de guerre, et un manifeste aux travailleurs de province : Paris à l’index. Les soupes populaires s’organisaient, dont maintes furent joyeuses ; les « lock-outés » processionnaient en bandes pacifiques ou goguenardes autour des chantiers gardés par la police et les municipaux ; le flux labial coulait à pleins bords dans les estaminets.

Surtout la force d’inertie était inquiétante. On sentait chez ces travailleurs une confiance sourde, une volonté passive, une haine flegmatique. Tous devaient réintégrer les chantiers au premier signal des entrepreneurs, beaucoup étaient prêts à signer des contrats qu’au fond de l’âme ils se juraient de ne pas observer, et les Limousins, par surcroît, connaissaient la résistance invincible de leur sobriété et de leurs économies.

Pour la première fois, peut-être, dans l’histoire sociale française, les travailleurs agirent avec la détermination froide d’industriels et de négociants. Ils virent dans le lock-out un combat d’avant-garde dont le résultat ne pouvait engager l’avenir.

Cette situation passionnait François. Bien plus qu’une grève triomphante, elle décelait le nouvel esprit révolutionnaire. Les hommes agissaient, non plus par fièvre ou par fureur, mais par un esprit de lutte continu, attentif, conscient. Ainsi la grande guerre sociale devenait possible. Une génération croissait qui mêlerait intimement le travail et la révolte, pour qui les mots cesseraient d’avoir ce sens