Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/466

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tourna un visage interrogateur vers le colosse, qui dit, avec un faux flegme :

— Nous sommes prêts.

Le meneur devint pâle. Depuis trois mois qu’il préparait la grève des ateliers Delaborde, toujours une angoisse secrète se mêlait à ses objurgations. C’était tantôt une hâte passionnée, tantôt le sentiment que cette grève serait inutile et presque nuisible. Malgré la puissance que sa parole exerçait sur lui-même, François savait qu’il y mettait trop de rancune, et tout son dépit et toute sa jalousie. Aussi avait-il mené une propagande confuse, chaotique, intermittente… Que de fois, la colère tombée, il avait souhaité ne pas réussir — et dans sa colère même ne désirait-il pas un autre dénouement, une de ces circonstances illogiques par quoi le sort désarme la vanité de notre raison et de nos actes ?…

Et voilà qu’il avait réussi. Il n’était plus en son pouvoir de retenir cette grève énigmatique et redoutable.

— Quand marcherez-vous ? fit-il d’une voix soudain lasse.

— Après-demain, répondit Alfred avec un ricanement. Demain, les délégués iront poser les conditions. Pas d’erreur : elles seront refusées !

— Croyez-vous ?

— J’en suis sûr ! La Jaunisse est au cœur de la place.

Rougemont baissa la tête. La jalousie lui tordait le foie. Et des images ardentes le poussèrent à la bataille :

— Eh bien ! on exterminera la Jaunisse ! s’exclama-t-il. Les camarades viendront ce soir ?

— En masse !

— J’y serai.

Il se dirigeait vers la rue de Tolbiac, lorsqu’il aperçut trois compagnons qui longeaient un terrain