Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/471

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laborde ne peut céder ni pour lui-même, ce serait déchoir, ni à cause du mauvais exemple. D’ailleurs, il a promis de ne pas le faire !

— À qui ? s’écria François, brûlé par une jalousie brusque.

— Aux autres imprimeurs.

— Il vous l’a dit ?

— Non, mais je le sais.

Rougemont était sorti de sa torpeur. La silhouette du vieil homme se mêlait à la présence de Christine. Dans une buée de détresse, il revoyait le visage violet, les joues pendantes, là-bas, au long des fortifications, parmi les herbes usées, les arbres cancéreux et la fumée rance du train de ceinture. C’est pour lui qu’elle était venue ! Il le savait. Il en était sûr. Un sang mauvais sifflait dans ses oreilles.

— Jamais il n’a fait de plus beaux bénéfices ! Pourquoi ne donnerait-il pas quelques miettes à ceux qui les lui gagnent ?

— Il le fait ! Non seulement il donne les salaires complets aux malades, mais il acquitte leurs dettes. Il leur accorde, à chaque instant, de petites vacances — payées ; — il est toujours prêt à faire quelque chose pour leurs enfants. Plus tard, quand ce ne sera pas une trahison, il acceptera sans doute une réduction des heures de travail. Quant aux jaunes, pourquoi s’engagerait-il à n’en plus prendre ? Il n’a aucune raison pour les persécuter. Ce serait aussi injuste que couard !

À chaque parole, il sentait quelque chose qui lui vrillait le diaphragme. Et quand elle s’arrêta, il murmura méchamment :

— Pourquoi me dites-vous cela ? Que m’importent les bontés de ce monsieur qui gagne autant à lui seul que tous ses travailleurs ?

Elle le regarda bien en face :

— Vous pouvez encore arrêter la grève.