Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/476

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à l’école primaire, et ceux qui enduraient des souffrances les devaient particulièrement à leurs compagnons de chambre, sous forme de larcins, de farces et de brimades. Armand lui-même passa sous les fourches. Ce fut court. Il était trop homme des foules pour n’avoir pas sa cuirasse : un groupe de partisans le rendait redoutable.

Et cette servitude, qu’il avait prévue atroce, lui dispensa maintes périodes charmantes. Quand le temps de l’apprentissage fut terminé, que telle chose agaçante devint familière, il goûta les longs répits de la caserne. Museur, la jambe infatigable et les yeux, même quand il rêvait, heureux de happer les scènes et les sites, il savoura la petite ville. Elle comportait beaucoup de canaux, de très vieux arbres ; une rivière dormassante et fort étroite décelait des herbages, des emblavures, de longs rideaux de peupliers, des saules et des roseaux. Mais il fallait accomplir une longue traversée, de la caserne à la gare, et au delà, pour trouver la forêt de Montarguy.

Avant toutes choses, Armand s’attachait aux canaux. Il rôdait infiniment au bord de ces eaux où la navigation est lente comme aux premiers âges. Un mulet, un cheval, accouplés à quelque âne, halaient le bateau. C’était un chaland nu, rudement chargé de bois, de houille, de briques, de poutres, de chaux, de sable, ou la péniche brune, grand sabot à la pointe arrondie, où niche une famille. L’heure n’existait pas. Le marinier semblait venir du fond des terres légendaires. L’écluse, à son approche, s’emplissait d’eau verte. Et l’on n’imaginait aucune fin au voyage.

Un après-midi, par un fin soleil d’après pluie, il vit une barque poindre au bout du quai, à l’ombre des trembles. Elle longea les platanes énormes : ils ont deux siècles ; plusieurs sont pareils à des arbres agglomérés ; tous rejoignent leurs feuillages