Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/526

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de gloire, ils atteignirent le Rendez-vous des Carriers, un cabaret du temps de Louis-Philippe. Un grand terrain à bâtir y attenait où, après avoir commandé des litres innombrables, les travailleurs s’entassèrent.

— Les sergents de ville rappliquent !

Ce cri coupa le dégorgement des bouteilles.

— C’est rien ! affirma Auguste Semail. Le terrain appartient au cabaretier. Nous sommes chez nous ! Si les flics entrent, on a le droit de les assommer.

— On est trois cents, ils ne sont pas trente ! renchérit Labranche.

— Camarades, intervint Rougemont, ne tombons pas dans un piège. Une bagarre sérieuse ferait le jeu des patrons !

L’événement, plus encore qu’au boulevard Bessières, l’avait nargué. Chagrin, il regardait venir le groupe sombre des sergents de ville. On entendait le martèlement de leurs grosses semelles, et petits, souvent chétifs, ils n’avaient que le prestige de la loi. Ce prestige était tenace. Maint prolétaire aux gros biceps les considérait avec tremblement ; les exaltés mêmes ne les auraient pas attendus en rase campagne : mais contre la convention de l’autorité, on dressait la convention du territoire inviolable.

Les agents furent proches. Encore deux pas, ils touchaient à la clôture pourrie. Alors Barraut, passant sa barbe d’escarbilles dans l’entrebâillement des planches, déclama :

— Prenez garde à ce que vous allez faire ! Nous sommes ici chez nous, sur un terrain privé : si vous y pénétriez, vous violeriez un domicile ! Vous voilà prévenus.

Une voix rogue riposta :

— Il faut rendre l’homme arrêté !

— Viens le prendre, eh ! mufle ! cria Labranche au milieu de la foule.