Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/527

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Quelques sergents de ville secouaient la clôture ; un litre décrivit une parabole au-dessus des têtes et s’abattit sur la route ; au bruit du verre cassé, les âmes s’échauffèrent ; dix autres litres partirent ; un agent, la figure ensanglantée, sortit son revolver avec un cri de rage et tira. Il y eut une longue plainte lugubre : le contremaître Clémont éleva ses deux bras, fit trois pas en arrière et s’affala. Puis, ayant poussé une deuxième plainte, il demeura immobile.

— Ah ! les cochons ! Ils l’ont tué ! cria Barjac.

— Assassins ! À mort ! À mort, les flics !… À mort, les crapules !

Les litres, par douzaines, se fracassaient sur la route. Au cri de Clémont, l’officier de paix, redoutant « une affaire », rappelait ses hommes et battait en retraite, tandis que l’agitation croissait parmi les grévistes : sans la faible clôture, une terrible bagarre éclatait. Mais il y avait la clôture. Elle retarda l’élan, elle filtra les hommes ; les premiers groupes, disséminés, privés du contact qui crée le courage des foules, se bornaient à lancer des pierres et des injures. Cependant, les sergents de ville avaient pris position à deux cents mètres du terrain. Dans le crépuscule, ils formaient une masse noire, plus compacte et plus redoutable à mesure que décroissait la lumière.

— Chargeons ! clamait Auguste Semail.

Une détresse tombait. La mort, après avoir exalté les âmes, pesait sur elles ; une curiosité funèbre rappelait les grévistes auprès du visage livide et du corps aplati de Clémont. Et la révolte prit un caractère mélancolique ; les hommes souhaitèrent remettre au lendemain les violences, avec l’espoir confus que les syndicats et la C. G. T. enverraient des renforts. L’arrivée d’un médecin contribua à l’accalmie. Tous voulaient le voir, penché sur Clémont, auscultant la poitrine, et quand il se