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VI


La presse syndicale, antimilitariste et libertaire chargea hargneusement M. Clemenceau. Il fut la Bête rouge, le Charcutier d’Arcueil, l’immonde Ganache, le vieux Jouisseur homicide, le Sinistre de l’intérieur. Les articles s’intitulaient : Encore un crime de Clemenceau ; la Semaine rouge du grand Flic ; Gouvernement d’assassins ; la Boucherie d’Arcueil ; Vingt-quatre heures de Grève générale ; le Monstre. On démontra qu’avec le féroce vieillard de la Commune, M. Clemenceau détenait le record des tueries gouvernementales. La Guerre sociale publia un dessin où le ministre, en vieux gendarme cynique, une épaisse moustache tombante, appuyé sur la croupe d’un cheval, ricanait devant les cadavres. Après un enterrement tumultueux, la C. G. T. s’acharna à maintenir le désordre ; ses hommes rôdaient avec les grévistes ; elle faisait aux syndicats et aux Bourses des appels d’argent enragés.

François s’abandonnait aux circonstances. À se fondre dans les troupeaux, à jouer son destin et celui des autres, à discourir dans le soleil, le vent et les averses, il n’oubliait pas Christine, mais il « l’éparpillait » comme il s’éparpillait lui-même.

De toutes parts accouraient des hommes d’aventure, la bohème d’une grande grève : vagabonds, songe-creux, gens de bagarre, demi-fous et chômeurs. Ils ne se mêlaient pas positivement à ceux des forges ; ils erraient autour, offrant leurs voix,