Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/18

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Étienne voyage comme un ouvrier ambulant, tournant, pour vivre, des coquetiers de buis. Mais il se présente au prince avec une fierté si désinvolte que celui-ci, joyeux de l’aubaine, n’aperçoit pas les touchantes callosités de ces mains pleines de pierreries, et n’offre au gentilhomme pâle de faim qu’une petite bague de remerciement. Le retour fut rude ; il fallut tourner beaucoup de buis ; la pacotille ne fut pas toute vendue ; et, plus tard, au Mas de Bornier, les invités mangeaient leurs œufs dans les coquetiers du grand oncle… tandis que le poète contait l’histoire, en jouant avec la bague du Roi, pendue à sa chaîne de montre.

Les bagues, les coquetiers, tout était plein de souvenirs, au Mas de Bornier ; et il y avait surtout une pipe, qui en était bourrée. Cette pipe, à la bataille de Brienne, un officier russe la fumait froidement, assis sur un tambour, au milieu d’un carré, lorsque le père d’Henri de Bornier, sous-lieutenant dans ces gardes d’honneur dont Ségur nous a dit la turbulence héroïque, fut agacé de voir, parmi les énormes fumées de la bataille, cette petite fumée qui montait, narquoise. — « Pardieu ! » grommela-t-il vers son voisin de charge, un certain marquis de Rochefort dont le fils aujourd’hui continue à charger, « voyons qui de nous deux aura cette pipe ? » À la sixième charge, Rochefort, ouvrant la bouche pour crier : « En avant ! » reçut une balle dans le palais : il chargea sans ajouter un mot : à la septième, Bornier reçut une balle dans la cuisse : il chargea la jambe pendante ; mais ce fut lui qui, à la huitième, enleva l’objet ; et l’Empereur, appréciant cette façon de cueillir des pipes aux dents des Russes, décora de sa main le colosse royaliste. Sous la seconde Restauration, Roche-