Page:Roullaud - Le Chien et le Mendiant, Album Universel, 1906-11-07.djvu/7

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Le chien et l’homme luttèrent longtemps.

Deux heures, trois heures peut-être.

À grands coups de son bâton noueux, l’homme repoussait les assauts de la bête et battait lentement en retraite, se cognant aux arbres, se heurtant à la nuit qui l’entourait partout, s’enfonçant dans une traîtresse crevasse remplie de neige, trébuchant sur les troncs pourris, qui, invisibles, s’entrecroisaient sous ses pas.

Chaque fois que la nuit le trahissait, les crocs du chien se plantaient dans un de ses maigres membres, et un lambeau de chair tombait, sanglant, sur le sol blanc, ponctué d’une bribe de ses haillons.

Il parvint cependant à sortir de la forêt et le chien, lui voyant franchir les limites de son domaine, le laissa aller et rentra sous les grands arbres squelettes dont l’abondance assombrissait les ténèbres de la nuit.

Le pauvre hère continua sa route interminable. Après une longue marche, il avisa une sorte de petite chapelle, au portique bas et rentrant, surmonté d’une statue de plâtre représentant l’infatigable colonisateur, l’apôtre du nord. C’était le monument commémoratif élevé en 1895, par la piété des fidèles, au vaillant curé Labelle, qui avait travaillé avec tant d’énergie opiniâtre à l’amélioration du sort des pauvres cultivateurs.

Le mendiant s’accroupit dans cette niche improvisée, frotta de neige ses blessures, et, épuisé par la rudesse du chemin presque autant que par l’acharnement du chien, il s’endormit et rêva, le malheureux, qu’il était dans un nid d’ouate et repu.