Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 134 )

Hommes, femmes, enfants, magistrats et savants
Se laissent éblouir aux éclats décevants. —
Mon règne s’agrandit de conquête en conquête : —
Et la science doute, et l’Église est muette !
J’ai dans le journalisme un digne apostolat ;
J’ébranle avec la Presse et l’Église et l’État !
Pour le Législateur, que mon esprit anime,
Le corrupteur de l’âme est innocent de crime :
La loi poursuit partout le meurtrier du corps ;
Mais l’assassin de l’âme, impuni, sans remords,
L’écrivain dépravé, le journaliste infâme,
Qui distille avec art tous les poisons de l’âme,
Il consomme en repos l’assassinat moral ;
Il peut impunément inoculer le mal !
Voila donc le progrès d’un siècle utilitaire :
L’âme, le cœur, l’esprit est moins que la matière ;
Et chacun a le droit, chacun la liberté
D’universaliser son immoralité ;
Oui, chacun a le droit et chacun la licence
D’encourager la chair en sa concupiscence.

 Je vois avec orgueil mes théurges nouveaux
De la jeune Amérique exalter les cerveaux ;
En prose comme en vers, expliquant mes préceptes,
Ils sont partout suivis d’innombrables adeptes.
Les vices, les erreurs, les morbides penchants
Ont leurs affinités dans les cœurs et les sens ;
Entre l’hiérophante et l’ardente Pythie,
La Magie établit l’intime sympathie ;
Le magnétisme agit, comme un charme amoureux,
Entre les cœurs souillés de rêves langoureux ;
Entre la somnambule et l’impur somniloque,
De la séduction le pacte est réciproque.
Mêlant, pour mieux tromper, de saintes vérités
Aux mensonges brillants, aux fatales clartés,
J’ai pour représentants les Spiritualistes,
Apôtres séducteurs, gnostiques panthéistes.
Les Mormons menaçants, les « Saints des derniers temps »,
Renouvellent les mœurs des Turcs Mahométans ;
Dans les plaines d’Utah, dans les déserts incultes,
La chair a proclamé la liberté des cultes !
Le centre de mon règne est au Grand Lac Salé ;
J’étreins Philadelphie et New-York désolé ;
Et j’admire, en tous lieux, la gynécolatrie
Préparant les horreurs de la polyandrie !
Des Mânes simulant et la voix et les traits,
Au milieu des vivants je parle et j’apparais ;
J’emprunte chaque forme et revêts chaque image,
Et des cœurs abusés je rive l’esclavage !
Du monde surprenant l’enthousiaste accueil,
Je dicte l’épopée au barde de l’orgueil.