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Il faut, pour travailler pour agir tout le jour,
Fuir du jeûne excessif le dévorant vautour ;
Il faut boire et manger, selon son appétence ;
Ce climat n’admet point d’ascétique abstinence ;
L’Age n’est point propice à ces pieux excès ;
Du vieux corps gangrené ne perçons point l’abcès ! »
 Et moi, je bats des mains, j’applaudis aux maximes,
Qui tiennent éloignés des rayonnantes cimes ;
Et je flatte la chair et l’orgueil révolté ;
Et j’attise l’esprit de la cupidité ! —
 Le sexe très-dévot, les vierges et matrones,
Pour varier le cours des plaisirs monotones,
Savent comment passer du théâtre au saint-lieu,
Et de la table sainte à la table de jeu !…
Elles ne craignent pas, dans leur immodestie,
D’étaler leur orgueil devant la Sainte Hostie ;
Et des salons du monde, avec leurs oripeaux,
De venir insulter les fidèles agneaux ! —
Les femmes, à l’envi, profanant le saint temple,
Viennent s’y dévoiler afin qu’on les contemple ;
Héroïnes du luxe, aux espoirs défleuris,
Elles hantent l’Église en quêtant des maris ;
Rêvant de quelque époux la tardive victoire,
Et de l’hymen bravant la chance aléatoire,
Qu’importent à leurs cœurs d’imberbes freluquets,
Des marchands parvenus ou des dandys musqués ?
L’amitié n’est qu’un rêve et l’amour qu’un mensonge,
Que l’argent seul enfante et que seul il prolonge ;
L’intérêt, sans amour, forme et dissout les nœuds ;
Et le lit nuptial n’est qu’un sépulcre affreux !
Dans ce siècle pervers, — à Mammon seul fidèles, —
Déçus et décepteurs, damoiseaux et donzelles,
Se tendent en public des pièges attrayants ;
Et l’hymen est suivi de malheurs effrayants !
Dans le mélange impur qu’apporte l’hérésie,
On voit s’évanouir la chaste orthodoxie ;
Partout, le « libre amour », le fol entraînement,
L’attraction des corps, succède au Sacrement ! —
Ah ! le siècle est docile aux lois que tu décrètes ;
Il grossit, en ton nom, ses phalanges secrètes ;
Oui, du trône à l’autel, de la tombe au berceau,
Tout est enveloppé de notre froid réseau !
De la société nous rongeons les entrailles ;
Le Christ verra bientôt ses grandes funérailles ;
Et le monde, soumis au culte des Démons,
N’aura dans l’avenir que la foi des Mormons ! —
Faut-il qu’un seul résiste, — un pâle et frêle ascète ?
Un froid contemplatif, un sombre anachorète ?
J’ai choisi, pour le vaincre, un géant de la chair :
Le géant a fléchi, soutenu par l’Enfer !