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l’âne sauvage.


  Ô toi, qui me viens chercher noise,
  Et m’accuser d’humeur sournoise,
  Qu’es-tu, bête, à l’esprit taquin :
  Curé, vicaire, ou sacristain ?
  En vain, on m’appelle dyscole ;
  Comme l’ascète érémicole,
  Ainsi que les oiseaux du ciel,
  En l’amour providentiel
  Je mets toute ma confiance :
  L’onagre, en son insouciance,
  Dormant sous un pavillon bleu,
  Pour vivre a besoin de si peu !
  Les Têtes-Plates, les Gros-Ventres
  N’habitent pas au fond des bois ;
  Ils n’habitent pas dans les antres ;
  Mais ce sont de piètres bourgeois :
  On les rencontre dans les villes,
  Dans les bourses, dans les bazars ;
  Ce sont les animaux dociles,
  Que le Luxe attelle à ses chars.
   Ah ! quand l’âne se fait victime,
  Toujours un intérêt l’anime ; —
  L’espoir secret d’un picotin ;
  L’odeur, l’attrait d’un vert festin.
  Et l’âne et l’homme, en tout semblables,
  Quand ils se montrent serviables,
  Savent bien mettre à très-haut prix
  Leur dur travail si peu compris. —
  Ne vante pas trop tes services :
  Sous le bat, ou sous le harnais,
  Tu ressembles aux écrevisses ;
  Ton fort, ce n’est pas le progrès.
  Peux-tu me démentir, ô frère :
  Quand tu fais un pas en avant,
  N’en fais-tu pas dix en arrière ?
  Ton instinct est rétrogradant !
  L’âne est d’humeur ruminative ;
  Toujours il se montre rétif,
  Quand, pour le rendre plus actif,
  Quelque despote le captive…
  Hélas ! que vois-je sur ta peau ?
  Sont-ce des coups de discipline,
  Ou les coups de fouet d’un bourreau
  Qui te bride, sangle et domine ?
  Ô Midas ! ô frère Midas !
  Ne fais pas le saint hypocrite,
  En attaquant ton frère ermite !
  Ô Midas ! ne t’y frotte pas !