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 Celui qui se croit fort et s’applaudit, qu’il tremble ;
Car plus, par ses vertus, l’homme à l’Ange ressemble,
Plus est grande sa chute, après la sainteté : —
Notre ancre de salut est dans l’humilité !
Par l’orgueil, tout péché commence et se consomme :
L’orgueil fit tomber l’Ange, et l’orgueil perdit l’homme !
Dans Lucifer déchu l’Ange devint Satan ;
Et dans l’homme pécheur, la haine eut son volcan !…
Heureuse l’âme vierge, heureuse l’âme sainte,
Qui, dans un cloître obscur, dans une calme enceinte,
S’abrite dès l’enfance, et par un triple vœu
Se donne pour toujours, et sans réserve, à Dieu !…

 L’homme n’est qu’un roseau, la Nature qu’une ombre,
Le terrestre séjour qu’un exil froid et sombre !
Du fond de la vallée, élevons notre cœur ;
Contemplons de Sion la céleste splendeur !
Dans le désert d’un jour, ne dressons qu’une tente ;
Élevons nos regards vers la cime éclatante !
L’ennemi nous entoure et nous poursuit partout ;
Ah ! tremblons et prions, nous qui sommes debout :
Les cèdres sont tombés de leur sublime faîte !
Veillons ! car on a vu tomber l’anachorète ! —
Hors de Dieu, rien n’est stable et rien n’est permanent ;
Lui seul de tout amour est l’Immuable Aimant ;
Et l’amour en lui seul, comme Première Cause,
Et comme Fin Dernière, absorbé, se repose !

 Ah ! tremblons et prions, nous qui sommes debout :
L’invisible ennemi tend des pièges partout !
Humilité sublime, humilité profonde,
C’est sur toi, c’est en toi, que la vertu se fonde ;
Sans toi, toute vertu, dans son éclat mondain,
Comme un rêve trompeur, s’évanouit soudain !
L’âme qu’en son orgueil la sainte Foi déserte,
Aux ténèbres du doute et du vice est ouverte !…

 Toute gloire ici-bas est semblable au ballon,
Aérien hochet qu’emporte l’aquilon !
L’ombre plane au-dessus de toute gloire humaine ;
Toute gloire est amère, et toute gloire est vaine ! —
Cet Astre, qui portait le nom de Lucifer,
S’est éteint dans le ciel, sans éclairer l’Enfer !
L’orgueil creusa l’abîme, où sans fin l’âme souffre ;
L’orgueil sans cesse encore en élargit le gouffre !
Enflé d’un souffle vain comme un aérostat,
L’homme est ange en montant et retombe apostat !
Nous voyons, en pleurant, la sainte Poésie
Complice de nos jours de la sombre hérésie !
Abdiquant les lauriers, que l’Enfer envia,
La Muse, en s’abaissant, dans son vol dévia ;