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Et sur l’onde inclinée, ainsi qu’un lys tremblant.
Pâlissant de se voir dans le flot transparent.
Une croix de saphir brillait à sa ceinture,
Symbole rayonnant d’une âme austère et pure ;
Et son front était ceint d’asphodèle et de lys,
Entre les verts roseaux dès le matin cueillis. —
 Oh ! oui, je l’ai suivie, et je la suis encore ;
Avec elle j’ai vu poindre plus d’une aurore ;
Et souvent, quand du ciel avait fui le soleil,
J’ai veillé pour que rien ne troublât son sommeil ;
À la lueur du feu que j’allumais pour elle,
Mon œil l’a contemplée endormie et plus belle ;
Et je l’ai vue, au chant de l’onde et de l’oiseau,
Sourire en s’éveillant dans son lit de roseau ;
Svelte et pâle, elle allait, touchant d’un pied rapide
Chaque fleur, de rosée encore toute humide ;
L’Éole des forêts, dans son gémissement,
Semblait la soulever comme un céleste amant ;
Tout homme qu’eût frappé sa majesté sereine,
De la nature en elle eût salué la reine,
Et la femme elle-même, en voyant sa beauté,
Eût ployé les genoux devant sa royauté !
Seule, elle allait puiser l’eau vive des fontaines,
Et dérober le miel aux ruches des vieux chênes ;
De la fleur du froment et de l’or du maïs,
Ses pains avec le miel par elle étaient pétris ;
Et l’on apercevait, sur sa rustique table,
Dans un vase argileux, la sève de l’érable.
Le chevreuil, la suivant sur le bord des ravins,
Venait prendre la feuille et le fruit dans ses mains ;
Bondissait, à sa voix, comme un gardien fidèle,
Et se couchait dans l’herbe, et dormait auprès d’elle.
La génisse, accourant, quand sa voix l’appelait,
À flots entre ses doigts laissait jaillir son lait.
Marchant vers l’Occident, où le bison émigré,
Devant elle fuyaient la panthère et le tigre ;
Et le serpent terrible, au tocsin menaçant,
Glissait inoffensif sur son pied frissonnant !
Les ossements poudreux des tribus endormies
Frémissaient sous ses pas dans les plaines fleuries ;
Elle sentait, le soir, passer avec le vent
Les fantômes émus des peuples d’Occident ;
Chaque fleuve sauvage, en sa course rapide,
Lui disait le berceau de sa source limpide ;
Et le cœur au désert saintement recueilli,
Elle voyait sortir les morts des tumuli ;
Et les morts racontaient les noms de tant de races,
Qui foulèrent ce sol sans y laisser de traces ;
Et qui, disparaissant dans l’ombre du tombeau,
De leur souffle en mourant ont éteint tout flambeau !