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Vous a-fait dans l’enfer traîner la Poésie ?….
Ô Rome, à tes arrêts je soumets tous mes vers
Et j’efface d’avance, avec des pleurs amers,
Ceux que ta voix condamne ! Oh ! oui, l’orthodoxie
Doit s’étendre, et s’étend, jusqu’à la poésie ;
Et si la vérité ne perd jamais ses droits,
Le poète inspiré, disciple de la croix,
Enfant plein de candeur en son obéissance,
N’admet point dans ses vers d’hérétique licence !
Non, non, jamais le Beau n’est séparé du Vrai ;
C’est le rayonnement de l’Idéal sacré ;
Et maudite la Muse infidèle, hérétique ;
La muse échevelée, à l’orgueil satanique !
Oui, malédiction, haine, opprobre infernal,
Flétrissure éternelle à l’apôtre du mal,
Qui, dans son noir délire et son apostasie,
Loin des sentiers du Bien, a suivi l’hérésie !
Anathème, anathème à ces géants d’orgueil,
Dont le souffle orageux pousse vers chaque écueil ;
À ces anges déchus, à ces foudres sonores,
Du Parnasse infernal décevants météores ! —
Achetant à tout prix la gloire et le succès,
Ils ont flatté le siècle en ses plus vils excès ;
Et lâches déserteurs, en leur haine cynique,
Du Christ auraient voulu déchirer la tunique !…
Ô fiévreuse chimère, impie aveuglement,
Essor vertigineux, sombre éblouissement,
Audace sacrilège, ivresse magnétique,
Où n’entraînes-tu pas le génie hérétique !…
Flamboyante comète, en son vol déréglé,
Il s’abîme et s’éteint dans un ciel désolé !
Tel un ballon, enflé de magique fluide,
Dans l’éther sulfureux erre et sombre sans guide ;
Ou tel encor, la nuit, sombrant comme un volcan,
Éclate un grand steamer, qu’engloutit l’Océan !
De la sainte justice, ô terrible mystère :
La chute du génie épouvante la terre !
Heureux donc l’humble barde, épris du seul vrai Beau ;
Qui sur l’autel désert rallume le flambeau ;
Et du mystique amour gardant toutes les flammes,
À monter vers le ciel aide les saintes âmes !
La Forme harmonieuse est la splendeur du Vrai ;
Le poète est béni, le poète est sacré !
Pour les fleurs qu’il effeuille et les trésors qu’il donne,
Malheur à qui refuse une pieuse aumône !
Malheur à qui le chasse ou reçoit sans amour !
Oui, malheur s’il n’obtient que la haine en retour ;
Si, prompt à le blesser, prompt à le méconnaître,
On ne voit pas en lui quelque chose du Prêtre ;