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Humbles vierges du cloître, austères Carmélites,
Astres dont nul ne peut compter les satellites,
Votre force attractive et votre charité
Rayonnent du foyer de l’inactivité ;
Sans sortir de l’enceinte où votre Époux demeure,
Pour le siècle oublieux vous priez à chaque heure ;
Vous priez et jeûnez pour l’Église et l’État ;
Votre héroïsme agit sans répandre d’éclat ;
Dans l’étroite cellule et l’obscur oratoire,
Vous poursuivez sans bruit votre œuvre expiatoire ;
Et vos pieux sanglots, vos supplications,
Font descendre du ciel les bénédictions !
Ô vierges du Carmel, qu’enflamme la prière ;
Vous que l’amour élève au-dessus de la terre ;
Vous qui loin du tumulte, à l’ombre d’un couvent,
Puisant dans l’abstinence un chaste enivrement,
Chantez avec ardeur les célestes louanges ;
Vierges ! priez pour moi, car vous êtes des anges !
Que m’importe, ou la gloire, ou le bruit d’un vain nom,
Ou l’immortel laurier cueilli sur l’Hélicon ;
Que m’importe l’éloge ou la critique amère,
Vierges du pur amour, si j’ai votre prière !
Priez donc, ô mes sœurs, priez pour que mes chants,
De vos hymnes d’amour soient des échos touchants ;
Pour qu’au monde exprimant les choses les plus saintes,
Ils soient comme un concert d’harmonieuses plaintes ;
Emportés par le vent, pour qu’ils ne tombent pas
Dans le champ de l’envie et sur des cœurs ingrats ;
Et qu’en mourant tranquille, au moins je puisse dire :
À toi seul, ô mon Dieu, j’ai consacré ma lyre !
Pour le plaisir fiévreux d’un coupable succès,
Qui ne laisse après soi qu’amertume et regrets,
Je n’ai jamais chanté ce que ta loi condamne,
Esclave et vil écho de la foule profane !
Non, je n’ai pas, pour plaire à tous ces apostats,
Dont le maître est Satan et le nom est Judas ;
Pour plaire au monde impie, apôtre du blasphème,
Préféré la laideur à la Beauté suprême !
Je n’ai pas fait vibrer, docile tour-à-tour
À l’amour criminel comme au céleste amour ;
Docile à tous les tons d’une molle harmonie,
Qu’inspire à ses élus un infernal génie ;
Je n’ai pas fait vibrer l’angélique instrument,
Le Kinnor étoile qui vient du firmament,
Pour qu’à mes faux accords, qui font gémir l’Eglise,
Le siècle émerveillé s’émeuve et s’électrise !
Je n’ai point, abusant des dons les plus sacrés,
Versé l’impur poison dans des cœurs égarés,
Disant avec Soumet qu’un flot d’orgueil soulève :