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Et de son fruit précoce étale à tout regard
Les appas qui devraient se voiler à l’écart….
Ô mœurs ! ô honte ! et toi, pudeur, vertu divine,
Charme d’autant plus grand qu’il faut qu’on te devine
Mystère ! ô doux mystère ! attrait le plus puissant,
Ton temple est profané par le jour éclatant !…
Orgueil de la famille, espoir de la patrie,
Jeunesse Américaine, ô fleur ! es-tu flétrie ?
Faut-il, pour vous trouver, héroïques enfants,
Fuir en deuil nos cités et parcourir les champs ?
Le feu sacré n’est plus gardé par les Vestales ;
Les vierges de nos jours ne sont plus virginales !
Sans consulter le prêtre et sans craindre son Dieu,
Pour se créer un maître et pour changer de lieu,
Chaque femme, à quelque homme, à la hâte est unie ;
Mais bientôt l’union de remords est punie !….
Oh ! qui pourrait les dire, en langage assez fort,
Les pleurs amers versés sur un si triste sort,
Les longs regards jetés sur la liberté sainte,
Et d’un cœur asservi la désolante plainte ? —
Qu’elle est donc plus heureuse, en sa virginité,
La femme dont le cœur, gardant sa liberté,
Se lie à Jésus-Christ par un hymen mystique,
Et goûte en cet hymen une ivresse angélique !
La vierge, en sa ferveur, qui s’est donnée à Dieu,
Et qui reprend son cœur, infidèle à son vœu,
Infidèle à l’Époux, aux caresses divines,
Qui se plaît au milieu des lys et des épines, —
Pour avoir violé son virginal serment,
Trouvera dans la chair un juste châtiment ;
Des pleurs du désespoir, auxquels rien n’accoutume,
Elle boira longtemps la secrète amertume ;
Et son cœur inconstant, étrangement déçu,
S’écrîra, sans remède : Hélas ! si j’avais su !…
Après s’être rendue à Dieu même infidèle,
D’être fidèle à l’homme, hélas ! l’espère-t-elle ? —
Quoi ! l’on craint de nos jours, que par la chasteté,
Par d’angéliques vœux, cesse l’humanité ?
Ah ! calmez toute crainte ; on trouvera sans cesse
Assez d’hommes enclins à propager l’espèce ;
Et s’il faut arrêter un effrayant abus,
C’est l’abus des hymens si fréquents et confus ! —
Non, ce n’est pas le temps de craindre la cellule :
Sous la loi de la chair, l’humanité pullule !
« Croissez ! multipliez ! » c’est le cri du pays ;
C’est le cri répété par d’unanimes cris !
On voit sur chaque crâne, empreint par la nature,
Le sceau protubérant de la progéniture.
Sans réserve divine, en rejetant la croix,
La nature affranchie a repris tous ses droits. —