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Seigneur, il te possède ; et pour lui, c’est assez !
Son cœur est opprimé de tes dons amassés !
Oui, quiconque a quitté, pour te suivre, patrie,
Biens, amis et famille, il a, dès cette vie,
En te possédant seul, un avant-goût du ciel !
Heureux, dans son repos, le moine du Carmel !
Heureux le vrai Mystique ! heureux le Solitaire !
La cellule du Juste est un ciel sur la terre !
Le monde, aveugle et vain, se vante avec fracas
De pouvoir seul donner un bonheur qu’il n’a pas. —
Viens, mon frère, et suis-moi vers le séjour de l’aigle ;
La règle qu’il te faut, c’est l’ascétique Règle !
Viens jouir avec moi de cette liberté,
Qui rappelle d’Adam l’insigne royauté ;
En brisant tes liens, dans l’essor de ton âme,
Méprise tout mépris et dédaigne tout blâme !
Celui qui vit en Dieu n’est jamais isolé !
L’ermite, en son désert, par l’Ange est consolé ;
L’ermite n’est jamais seul dans la solitude ;
Son âme, unie au Christ, touche à la multitude !
L’Église a consacré le repos du désert ;
Les prières des Saints sont un puissant concert ;
Les moines, en formant d’angéliques phalanges,
Pour combattre l’Enfer, ont la force des Anges ;
Et l’amour, en tous temps, a créé ces héros,
Qui n’ont jamais cessé d’agir dans le repos !
Brise enfin des liens, forgés par l’habitude ;
De l’Égypte idolâtre, oh ! fuis la servitude ;
Quitte un monde coupable, agité de remords ;
Et laisse aux morts le soin d’ensevelir les morts !
Libre à de vains acteurs, embarrassés d’affaires,
De se croire importants et d’être nécessaires :
Quand ils disparaîtront dans l’oubli du trépas,
D’avides remplaçants prendront leurs embarras !
La fièvre des honneurs, l’ambition hâtive,
L’espérance du gain, la vertu lucrative,
L’esprit du siècle enfin attirera toujours,
Pour combler chaque vide, un immense concours ! —


le poète.


Pour trouver Jésus-Christ, il faut quitter les hommes :
Le désert est bien doux dans le siècle où nous sommes ! —
Heureux qui, s’enfuyant des forums agités,
Où l’on entend hurler tant de flots ameutés,
Et saluant de loin son frère anachorète,
Va se bâtir un nid sur la plus haute crête ;
Et qui vit, revêtu d’un mystique linceul,
Seul avec la Nature, et seul avec Dieu seul !
Puisqu’il faut que pour Dieu tout homme vive et meure,
Moi, loin des cœurs troublés, je choisis ma demeure !