Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 259 )

De la famille d’Eve elle fut protectrice ;
Des premières cités, sage législatrice,
Dans la langue des dieux elle écrivit les lois ;
Oui, la Muse était reine et prêtresse autrefois !


marie-antonie.


La sainte poésie est le concert de l’âme,
Qu’en Éden ont chanté l’Ange, l’homme et la femme.
Ce siècle, pour la Muse, est trop matériel ;
Ce siècle est trop grossier pour la fille du ciel ;
Et craignant de souiller sa blanche robe d’ange,
Elle évite en fuyant le grand fleuve de fange ! —
Je porte en moi l’esprit de plusieurs de mes sœurs ;
Toutes n’ont pas le goût d’énervantes douceurs ;
Toutes n’ont pas l’amour des choses de la terre :
Il en est en qui Dieu mit son amour austère ;
Il en est qui fuiraient loin des molles cités,
Et qui rêvent des bois les âpres voluptés ;
Dans leur sein généreux bat un cœur d’amazone ;
D’un séraphique éclat leur large front rayonne ;
Elles semblent subir d’angéliques attraits,
Et passeraient sans peur à travers les forêts,
À travers tous les lieux infestés de reptiles,
Et les sables brûlants des steppes infertiles ! —
Je porte en moi l’esprit de plusieurs de mes sœurs ;
Toutes n’ont pas le goût d’énervantes douceurs ;
Le goût du luxe esclave, en sa pompe éphémère,
Et qui cherche à voiler sa superbe misère !
Ah ! que me font à moi, les biens qui n’ont qu’un temps,
Vases pétris d’argile, imparfaits et changeants,
Hochets de la matière et parcelles de l’être,
Réalités d’un jour qui ne font qu’apparaître ?
Quoi ! l’on pourrait aimer une idole de chair,
Dont la beauté fragile est destinée au ver ;
L’on pourrait s’attacher à l’inconstance même,
Sentant fuir chaque jour l’être aimé qui vous aime ;
Et l’on ne pourrait pas s’unir au Créateur,
Source de tout amour et de toute splendeur ?
Quoi ! l’ombre, le reflet, la lumière affaiblie,
L’image serait plus que l’Auteur de la vie ?
Quoi ! les choses du temps, en leur fragilité,
Pour une âme immortelle auraient plus de beauté ? —
Entre mon âme et Dieu je ne veux point de voiles ;
La splendeur du Soleil me cache les étoiles I
Devant l’Astre d’amour, tout n’est que froid néant :
Pour contenir mon cœur, Dieu seul est assez grand !
Sans le nuage obscur, sans l’image charnelle,
Oui, je veux m’élever à l’idée éternelle ;
En Dieu seul contemplant la multiplicité,
Je veux me reposer au sein de l’Unité,