Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/138

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« participez aux égarements et aux erreurs du monde, on condamne votre facilité de mœurs, et on vous fait un reproche de suivre les exemples qui, de toutes parts, vous sont offerts. En vain essaieriez-vous de vous retrancher dans une espèce de juste-milieu, d’allier le rigorisme des sentiments à l’aménité des manières et aux agréments de l’extérieur, vous ne trouverez pas grâce aux yeux de ce monde injuste auquel vous avez essayé de plaire, et il exigera que vous fassiez un choix décisif entre votre conscience et lui.

« Oui, il n’est que trop vrai ! quand une jeune fille, cédant aux funestes conseils qu’elle entend de toutes parts, et qui se reproduisent sous mille formes diverses, dans les livres, au théâtre, dans les objets d’art, dans ces conversations perfidement nuancées qui remplissent ordinairement les intervalles des plaisirs, quand, dis-je, une jeune fille égarée par tant d’artifices, a vu son honneur faire un triste naufrage, alors le monde, bien loin de l’accueillir d’une douce et tendre compassion, bien loin de fermer les yeux sur sa faute et de reconnaître qu’elle a été conséquente avec les principes qu’il lui a inculqués, le monde la poursuit d’une curiosité insultante et maligne ; il rit d’un rire satanique, en contemplant son ouvrage, et s’applaudit des malheurs qu’il a causés. Le monde a mis tout en œuvre pour perdre l’innocence ; quand, docile à sa voix, l’innocence s’est laissée surprendre, alors il la repousse dédaigneusement et la rejette, seule avec elle-même, dans son désespoir et son déshonneur.

« Tel est l’esprit du monde ; telle est la cruelle conduite qu’il tient journellement envers ses malheureuses victimes. Mais tel n’est pas l’esprit du christianisme ; tels ne sont pas ses inspirations et ses sentiments. Sentinelle infatigable, le christianisme est toujours là : il prémunit la jeunesse contre les séductions que prépare à son inexpérience le monde, son implacable ennemi ; il l’avertit que ses caresses sont trompeuses, et qu’il ne la flatte que pour mieux l’envelopper dans ses pièges. Si la jeunesse a été rebelle à ses sages avertissements, et que les fatales prédictions se sont réalisées, alors le christianisme vient à son secours, il la relève du profond découragement où l’a jetée sa faute, il la reçoit dans ses bras, il la console, et, aux lamentations du désespoir, il fait succéder les douces larmes du repentir. Il lui répète que le repentir est une seconde innocence, et qu’elle n’a pas tout perdu, puisqu’il lui reste encore un Dieu qui lui pardonne, et le ciel qui l’attend.

« Est-il étonnant que ces doux sentiments de charité, ces paroles si tendres, cette compassion si affectueuse, touchent des cœurs qui n’étaient qu’égarés, et déterminent les plus heureux changements ? Cette transition si soudaine et si étrange de la scène du monde, où s’agitent tant de passions, où se développe incessamment tant de perfidie et de cruauté, à la vie chrétienne si paisible, si unie et si douce, doit frapper ces victimes du monde ; et, dans leur profonde reconnaissance pour le Dieu qui les accueille, qui les sauve à la fois du déshonneur et du désespoir, elles s’écrient : « Oui, la religion chrétienne qui assure notre félicité dans l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. » (Bienfaits du Christianisme, p. 61 et suiv.)

Écoutons maintenant l’Aigle de Meaux :

« Tout est corruption dans le monde, dit Saint-Jean ; tout est ou concupiscence des yeux ou orgueil de la vie : Omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vitæ. (I Joan. II. 16.) Tout le monde est sous l’empire du malin esprit : « Mundus totus in maligno positus est. » (Ibidem v. 19.) Au contraire, nous trouverons Jésus-Christ dans le désert ; nous y verrons la nature dans sa pureté : elle nous paraîtra peut-être d’abord affreuse, à cause de l’habitude que nous avons de voir les choses si étrangement falsifiées par l’artifice éblouissant de la séduction ; mais l’illusion faite à nos sens se dissipera bientôt dans le calme de la solitude, et la nature nous y plaira d’autant plus, qu’elle n’y est point gâtée par le luxe.

« Si comme Jésus-Christ, nous n’y avons de société qu’avec les bêtes, cum bestiis, (Marc I. 13.) pensons que les hommes sont plus sauvages, plus cruels que les animaux les plus farouches ; là, c’est l’instinct qui conduit : dans les hommes, c’est une malice déterminée et délibérée. C’est ce qui jette le prophète dans la solitude.

« Qui me fera trouver dans le désert, s’écrie Jérémie, une cabane de voyageurs ? » Quis dabit me in solitudine diversorium viatorum ? (Jer. IX. 2.) « afin que j’abandonne mon peuple et que je