Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/34

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vements, et ils n’ont pas pressenti une seule de ces occasions trop nombreuses, pour lesquelles la religion avait inventé les cloîtres ! Terreurs d’une âme timide qui manque de confiance dans ses propres forces ; expansion d’une âme ardente qui a besoin de s’isoler avec son créateur ; indignation d’une âme navrée qui ne croit plus au bonheur ; activité d’une âme violente que la persécution a aigrie ; affaissement d’une âme usée que le désespoir a vaincue ; quels spécifiques opposent-ils à tant de calamités ? Demandez aux suicides !…

« Voilà une génération toute entière à laquelle les événements politiques ont tenu lieu de l’éducation d’Achille. Elle a eu pour aliments la moëlle et le sang des lions ; et maintenant qu’un gouvernement, qui ne laisse rien au hasard, et qui fixe l’avenir, a restreint le développement dangereux de ses facultés ; maintenant qu’on a tracé autour d’elle le cercle étroit de Popilius, et qu’on lui a dit, comme le Tout-Puissant aux flots de la mer : Vous ne passerez pas ces limites, sait-on ce que tant de passions oisives et d’énergies réprimées peuvent produire de funeste ? Sait-on combien il est près de s’ouvrir au crime, un cœur impétueux qui s’est ouvert à l’ennui ? Je le déclare avec amertume, avec effroi ! Le pistolet de Werther et la hache des bourreaux nous ont déjà décimés !

« CETTE GÉNÉRATION SE LÈVE ET VOUS DEMANDE DES CLOÎTRES.

« Paix sans mélange aux heureux de la terre ! mais malédiction à qui conteste un asile à l’infortune ! Il fut sublime le premier peuple qui consacra au nombre de ses institutions un lieu de repos pour les malheureux. Une bonne société pourvoit à tout, même aux besoins de ceux qui se détachent d’elle, par choix ou par nécessité.

« J’étais de retour dans les bâtiments supérieurs ; et en m’appuyant contre un pilier gothique, orné de tristes emblèmes, je remarquai des caractères péniblement gravés sur une des faces de sa base.

« On y lisait ce qui suit :

 
« En voyant l’aveuglement et les misères de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait emporté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui se réveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir ; et sur cela, j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. »


« C’est Pascal qui a crayonné dans ces lignes toute l’histoire du genre humain. »

Oui, voilà ce qu’a écrit, sous le titre de Méditations du Cloître, non pas un moine, non pas un évêque ou un prêtre, mais un homme du monde, un philosophe moderne : réfléchissez bien, avant de récuser ce témoignage ; méditez longtemps et sérieusement sur ces Méditations !

Après ces pages de Nodier, nous citerons quelques lignes de Léon Boré :

« Quant à ces pieux asyles, où, loin des agitations du monde, l’âme dégagée d’entraves, s’abreuve et se renouvelle, chaque jour, aux sources vives de la prière, de la méditation et de l’étude, celui qui n’en saisit pas la sublimité, qui n’en comprend pas l’importance, celui-là manque d’un sens moral et intellectuel, du sens des choses supérieures à la vie vulgaire. L’homme animal ne conçoit point les choses qui sont de l’esprit de Dieu : elles lui paraissent une folie, et il ne les peut comprendre, parce que l’on n’en juge que par une lumière spirituelle. (Cor. 2. 14). » « Mais, la privation de l’organe indispensable pour percevoir les plus hautes manifestations de la vertu et de la vérité ne prouve rien, ni contre la vérité, ni contre la vertu. Il ne reste pas moins certain que tout se réunit de notre temps, et les besoins si multipliés de l’intelligence, et les misères innombrables du cœur, TOUT, jusqu’aux AVEUGLES RÉPUGNANCES d’une société malade, pour rendre PLUS NÉCESSAIRES QUE JAMAIS des institutions dans lesquelles l’âme trouve une guérison à chacune de ses blessures, un aliment à chacune de ses facultés. »

Disons encore par un auteur moderne :

« N’est-il pas heureux qu’il y ait des asyles, où les hommes las du monde puissent se réfugier, échapper aux occasions qui leur ont été funestes, mettre une barrière entre eux et des séductions puissantes, repasser leurs égaremens dans l’amertume de leur cœur, offrir à Dieu leurs privations et leur pénitence, se pré-