Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ciles. Les uns ont déserté leur patrie, les autres lui sont devenus inutiles en consommant et ne produisant rien ; la multitude des enfants est devenue à charge. Le peuplement a sensiblement diminué, et tandis que l’on se multipliait dans les villes, la culture des terres plus négligée, les besoins de la vie plus onéreux, en rendant les denrées étrangères plus nécessaires, ont mis le pays dans une plus grande dépendance de ses voisins. La vie oiseuse a introduit la corruption et multiplié les pensionnaires des puissances ; l’amour de la patrie, éteint dans tous les cœurs, y a fait place au seul amour de l’argent ; tous les sentiments qui donnent du ressort à l’âme étant étouffés, on n’a plus vu ni fermeté dans la conduite, ni vigueur dans les résolutions. Jadis, la Suisse pauvre faisait la loi à la France ; maintenant la Suisse riche craint le sourcil froncé d’un ministre français.

Voilà de grandes leçons pour le peuple corse ; voyons de quelle manière il doit se les appliquer. Le peuple corse conserve un grand nombre de ses vertus primitives, qui faciliteront beaucoup notre constitution. Il a aussi contracté, dans la servitude, beaucoup de vices auxquels il doit remédier ; de ces vices, quelques-uns disparaîtront d’eux-mêmes avec la cause qui les fit naître, d’autres ont besoin qu’une cause contraire déracine la passion qui les produit[1].

  1. Il y a dans tous les États un progrès, un développement naturel et nécessaire depuis leur naissance jusqu’à leur destruction. Pour rendre leur durée aussi longue et aussi belle qu’il est possible, il vaut mieux en marquer le premier terme avant qu’après. Il ne faut pas vouloir que la Corse soit tout d’un coup ce qu’elle peut être ; il vaut mieux qu’elle y parvienne et qu’elle monte que d’y être à l’instant même et ne faire plus que décliner ; le dépérissement où elle est ferait de son état de vigueur un État très-faible, au lieu qu’en la disposant pour y atteindre, cet État sera dans la suite un État très-bon. (Note de l’Auteur.)