Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je mets dans la première classe l’humeur indomptable et féroce qu’on leur attribue : on les accuse d’être mutins ; comment le sait-on, puisqu’ils n’ont pas été gouvernés justement ? En les animant sans cesse les uns contre les autres, on devait voir que cette animosité tournait souvent contre ceux dont elle était l’ouvrage.

Je mets dans la seconde classe le penchant au vol et au meurtre qui les a rendus odieux. La source de ces deux vices est la paresse et l’impunité : cela est clair, quant au premier, et facile à prouver quant au deuxième, puisque les haines de famille et les projets de vengeance qu’ils étaient sans cesse occupés à satisfaire naissent dans des entretiens oiseux, et prennent de la consistance dans de sombres méditations, et s’exécutent sans peine par l’assurance de l’impunité. Qui pourrait nôtre pas saisi d’horreur contre un gouvernement barbare, qui, pour voir ces infortunés s’entr’égorger les uns les autres, n’épargnait aucun soin pour les y exciter ! Le meurtre n’était pas puni, que dis-je, il était récompensé ; le prix du sang était un des revenus de la république. Il fallait que les malheureux Corses, pour éviter une destruction totale, achetassent par un tribut la grâce d’être désarmés.

Que les Corses, ramenés à une vie laborieuse, perdent l’habitude d’errer dans l’île comme des bandits ; que leurs occupations égales et simples, les tenant au centre dans leurs familles, ne leur laissent rien à démêler entre eux. Que leur travail leur fournisse aisément de quoi subsister eux et leur famille ; que ceux qui ont toutes les choses nécessaires à la vie ne soient pas encore obligés d’avoir de l’argent en espèces, soit pour payer les tailles et autres impositions, soit pour fournir à des besoins de fantaisie et au