Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

452 LETTRES SUR LA VERTU

choses. Où est donc la grandeur absolue ? tous se trompent- ils ou personne ? Il ne faut pas vous en dire davantage pour vous faire entrevoir jusqu’où l’on pourrait pousser les con- séquences de ces réflexions, toute la géométrie n’est fondée que sur la vue et le toucher, et ces deux sens ont besoin peut-être d’être rectifiés par d’autres qui nous manquent ; ce qu’il y a de plus démontré pour nous est donc suspect encore, et nous ne pouvons savoir si les Éléments d’Euclide ne sont pas un tissu d’erreurs.

Ce n’est pas tant le raisonnement qui nous manque que la prise du raisonnement. L’esprit de l’homme est en état’ de beaucoup faire, mais les sens lui fournissent peu de matériaux, et notre âme, active dans ses biens, aime mieux s’exercer sur les chimères qui sont à sa portée que de rester oisive et sans mouvement. Ne ncfus étonnons donc pas de voir la philosophie orgueilleuse et vaine se perdre dans ses rêveries, et les plus beaux génies s’épuiser sur des puérilités. Avec quelle défiance devons-nous nous livrer à nos faibles lumières, quand nous voyons le plus métho- dique des philosophes, celui qui a le mieux établi ses prin- cipes et le plus conséquemment raisonné, s’égarer dès les premiers pas, et s’enfoncer d’erreurs en erreurs dans des systèmes absurdes. Descartes, voulant couper tout d’un coup la racine de tous les préjugés, commença par tout révoquer en doute, tout soumettre à l’examen de la raison ; partant de ce principe unique et incontestable : Je pense^ donc j existe^ et marchant avec la plus grande précaution, il crut aller à la vérité et ne trouva que des mensonges. Sur ce premier principe, il commença par s’examiner, puis, trouvant en lui des propriétés très-distinctes et qui semblaient appartenir à deux différentes substances, il