Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/187

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dire, avec un personnage de Térence, que rien d’humain n’est étranger à moi. Dans toutes les situations je me suis toujours senti affecté de deux manières différentes et quelquefois contraires, lune venant de Fétat de ma fortune et l’autre de celui de mon âme, en sorte que tantôt un sentiment de bonheur et de paix me consolait dans mes disgrâces, et tantôt un malaise importun me troublait dans la prospérité. Ces dispositions intérieures, indépendantes du sort et des événements, m*ont fait une impression d’autant plus vive que mon penchant à la vie contemplative et solitaire leur donnait lieu de se mieux développer. Je sentais, pour ainsi dire, en moi le contre-poids de ma destinée. J’allais me consoler de mes peines dans la solitude où je versais des larmes quand j’étais heureux^ En cherchant le principe de cette force cachée qui balançait ainsi l’empire de mes passions, je trouvai qu’il venait d’un jugement secret que je portais sans y penser sur les actions de ma vie et sur les objets de mes désirs. Mes maux me tourmentaient moins en songeant qu’ils n’étaient point mon ouvrage ; et mes plaisirs perdaient tout leur prix quand je voyais de sang-froid en quoi je les faisais consister. Je crus sentir en moi un germe de bonté qui me dédommageait de la mauvaise fortune, et un germe de grandeur qui m’ élevait au-dessus de la bonne. Je vis que c’est en vain qu’on cherche au loin son bonheur quand on néglige de le cultiver en soi-même, car il a beau venir du dehors, il ne peut se rendre sensible qu’autant qu’il trouve au dedans une âme propre à le goûter.

Ce principe dont je vous parle ne me sert pas seulement à diriger mes actions présentes sur la règle qu’il me prescrit, mais encore à faire une juste estimation de ma