Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/298

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272 LES AMOURS

vint les mettre d’accord de la manière la plus imprévue. 11 leur dit que sa iîUe, dépitée du mépris de Marceilin et de son amour pour Claire, renonçait à ce mariage, et qu’il venait leur rendre leur parole et retirer la sienne ; mais il ne disait pas la véritable cause de c^ changement : c’était la tendre Claire qui avait trouvé le rare secret de gagner sa rivale, et d’obliger une fille sage et sans autre amour a rompre volontairement un mariage assorti. Claire alla trouver la fiancée : « J’aimais Marceilin, lui dit-elle, avant que je susse qu’il t’était promis, et je ne puis plus m’em- pêcher de l’aimer encore ; ton mariage et mon amour nous rendront toutes deux malheureuses- Avec c^ contrat de deux cents livres de rente que je te donne, tu peux choisir un aussi bon parti et trouver de plus un mari qui t’aime ; cède-moi donc à ce prix un cœur qu’également tu m’ôte- rais avec peine ; il te convient mieux de porter du bien à - un homme dont tu seras aimée que d’en recevoir d’un homme qui en aime une autre. » — Ce qu’il y avait de plus clair dans tout ce discours pour la fiancée, c’étaient les deux cents livres de rentes, et ce fut le motif qui la dé- termina ; elle vendit son mari futur, qui lui convenait assez mal, pour en acheter un autre plus éveillé et dont l’humeur promît davantage ; en effet, Marceilin, garçon modeste et peu fertile en sottises, passa toujours chez ses connaissan- ces pour avoir assez peu d’esprit.

Jamais Claire ne fut si contente qu’au moment qu’elle n’eut plus rien ; jamais son amour ne lui fut si doux qu’a- près lui avoir tout coûté. Marceilin, de son côté, fut trans- porté de joie à cette heureuse nouvelle. Il sentit combien il était aimé et combien Claire était digne de l’être. De son côté, fier de la pâleur et de la faiblesse qui lui étaient