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290 MON PORTRAIT.

que de vivre de mon propre ouvrage. Il y a bien des lec- teurs que cette seule idée empêchera de poursuivre. Ils ne concevront pas qu’un homme qui a besoin de pain soit digne qu’on le connaisse ; ce n’est pas pour ceux-là que j’écris.

Je suis assez connu pour qu’on puisse aisément vérifier ce que je dis, et pour que mon livre s* élève contre moi si je mens.

Je ne reconnais pour vrais bienfaits que ceux qui peu- vent contribuer à mon bonheur, et c’est pour ceux-là que je suis pénétré de reconnaissance. Mais certainement, l’argent et les dons n’y contribuent pas, et quand je cède aux longues importunités d’une offre cent fois réitérée, c’est plutôt un malaise dont je me charge pour acquérir le repos qu’un avantage que je me procure. De quelque prix que soit un présent et quoi qu’il coûte à celui qui l’offre, comme il me coûte encore plus à recevoir, c’est celui dont il vient qui m’est redevable. C’est à lui de n’être pas un ingrat ; cela suppose, il est vrai, que ma pauvreté ne m’est point onéreuse, et que je ne vais point à la quête des bienfaiteurs et des bienfaits. Ces sentiments, que j’ai toujours hautement professés, témoigneront ce qu’il en est.