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PENSÉES DÉTACHÉES.

l’erreur, il est devenu beaucoup plus raisonneur et beaucoup moins raisonnable.

Tous ces désordres tiennent plus à la constitution des sociétés qu’à celle de l’homme ; car que sont ses besoins physiques en comparaison de ceux qu’il s’est donnés, et comment peut-il espérer de rendre sa condition meilleure avec ces derniers, puisque ces nouveaux besoins n’étant à la portée que du petit nombre et même pour la plupart exclusifs, un seul n’en saurait jouir que mille n’en soient privés et ne périssent malheureux après beaucoup de tourments et de peines inutiles.


Les lois s’étant tellement multipliées que personne n’a pu les observer toutes, et une infinité de choses naturellement innocentes ayant été interdites au peuple par les privilèges exclues que les puissants se sont attribués, le peu de scrupule que l’on s’est fait d’enfreindre quelques lois s’est étendu à toutes les autres ; c’est ainsi que les lois somptuaires, modifiées par la diversité des rangs, ont fomenté le luxe au lieu de l’éteindre. C’est ainsi que tel, qui n’eût regardé le vol qu’avec horreur, s’étant fait braconnier sans beaucoup de scrupule, puis contrebandier, a fini par voler sur les grands chemins.


Tant que les hommes gardèrent leur première innocence, ils n’eurent pas besoin d’autre guide que la voix de la nature ; tant qu’ils ne devinrent pas méchants, ils furent dispensés d’être bons ; car la plupart des maux qu’ils souffrent leur viennent de la nature beaucoup moins que de leurs semblables, de sorte qu’avant qu’un homme fût tenté