Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/82

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Aussi ce mouvement donné par les Parlements et le roi entraîna-t-il la chute de l’édifice miné, dont on n’avait pas voulu réparer une seule pièce. Tout croula à la fois ; l’anarchie fut horrible chez un peuple qui croyait avoir le droit de se venger de plusieurs siècles d’opprobre et d’oppression.

Cet édifice est reconstruit sur des bases qui, assurant le bonheur de tous, assurent sa durée, et la France est arrivée par un chemin qui a fait frémir d’horreur ceux qui l’ont parcouru, là où Rousseau et la raison voulaient la faire parvenir sans secousse et surtout sans effusion de sang.

On trouvera dans ce projet de constitution pour les Corses un morceau un peu sévère sur les Suisses. Tout en partageant l’opinion de Rousseau, qui pense qu’ils ont méconnu leurs vrais intérêts en introduisant chez eux le luxe, en encourageant les manufactures, en ouvrant de grandes et superbes routes, qui traversent leur pays dans tous les sens, en signant des capitulations pour fournir des hommes aux puissances qui les avoisinent, on ne peut cependant convenir avec lui que ces fautes graves, qui, sans doute, ont affaibli la Suisse, aient dénaturé le caractère de cette vigoureuse et héroïque nation. On trouve toujours chez elle ce même courage qui lui fit conquérir et conserver sa liberté, cette fidélité à ses serments qui en a fait des héros au 10 août et à la Bérésina. L’amour de la patrie est aussi vif chez les Suisses du dix-neuvième siècle que chez les Suisses du quinzième. Mais l’expérience n’a que trop prouvé que Rousseau avait eu raison de dire que les Suisses ne pouvaient pas avoir d’accord dans leurs résolutions ; ils avaient rendu alors leurs intérêts trop directs avec leurs voisins, et trop opposés entre eux pour