Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

inutile de chercher à caractériser les différens peuples ; ce qui est à-peu-pres aussi bien raisonné que si l’on disoit qu’on ne sauroit distinguer Pierre d’avec Jacques, parce qu’ils ont tous deux un nez, une bouche & des yeux.

Ne verra-t-on jamais renaître ces tems heureux où les peuples ne se mêloient point de philosopher, mais où les Platons, les Thales & les Pythagoras, épris d’un ardent désir de savoir, entre-prenoient les plus grands voyages uniquement pour s’instruire, & alloient au loin secouer le joug des préjugés nationaux, apprendre à connoître les hommes par leurs conformités & par leurs différences, & acquérir ces connoissances universelles qui ne sont point celles d’un siecle ou d’un pays exclusivement, mais qui étant de tous les tems & de tous les lieux, sont pour ainsi dire, la science commune des sages ?

On admire la magnificence de quelques curieux qui ont fait ou fait faire à grands frois des voyages en Orient avec des savans & des peintres, pour y dessiner des masures & déchiffrer ou copier des inscriptions ; mais j’ai peine à concevoir comment dans un siecle où l’on se pique de belles connoissances, il ne se trouve pas deux hommes bien unis, riches, l’un en argent, l’autre en génie, tous deux aimant la gloire & aspirant à l’immortalité, dont l’un sacrifie vingt mille écus de son bien & l’autre dix ans de sa vie à un célebre voyage autour du monde ; pour y étudier, non toujours des pierres & des plantes, mais une fois les hommes & les mœurs, & qui, après tant de siecles employés à mesurer & considérer la maison, s’avisent enfin d’en vouloir connoître les habitans.

Les académiciens qui ont parcouru les parties septentrionales de l’Europe, & méridionales de l’Amérique, avoient plus pour objet