Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/186

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question : car il ne s’agit pas de savoir pourquoi l’homme demeurera attaché à la femme après l’accouchement, mais pourquoi il s’attachera à elle après la conception. L’appétit satisfait, l’homme n’a plus besoin de telle femme, ni la femme de tel homme. Celui-ci n’a pas le moindre souci, ni peut-être la moindre idée des suites de son action. L’un s’en va d’un côté, l’autre d’un autre, & il n’y a pas d’apparence qu’au bout de neuf mois ils aient la mémoire de s’être connus : car cette espece de mémoire par laquelle un individu donne la préférence à un individu pour Pacte de la génération, exige, comme je le prouve dans le texte, plus de progrès ou de corruption dans l’entendement humain, qu’on ne peut lui en supposer dans l’état d’animalité dont il s’agit ici. Une autre femme peut donc contenter les nouveaux désirs de l’homme aussi commodément que celle qu’il a déjà connue, & un autre homme contenter de même la femme, supposé qu’elle soit pressée du même appétit pendant l’état de grossesse, de quoi l’on peut raisonnablement douter. Que si dans l’état de nature la femme ne ressent plus la passion de l’amour après la conception de l’enfant, l’obstacle à sa société avec l’homme en devient encore beaucoup plus grand, puisqu’alors elle n’a plus besoin ni de l’homme qui l’a fécondée, ni d’aucun autre. Il n’y a donc dans l’homme aucune raison de rechercher la même femme, ni dans la femme aucun raison de rechercher le même homme. Le raisonnement de Locke tombe donc en ruine, & toute la dialectique de ce philosophe ne l’a pas garanti de la faute que Hobbes & d’autres ont commise. Ils avoient à expliquer un fait de l’état de nature, c’est-à-dire d’un état où les hommes vivoient isolés, & où tel homme n’avoit aucun motif de demeurer à côté de tel homme, ni peut-être les hommes de demeurer à côté les uns des autres, ce qui est bien