Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/188

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du tems du siege de Troye, sans que les hommes eussent l’usage des nombres & du calcul : mais la nécessité de connoître les nombres avant que acquérir d’autres connoissances, n’en rend pas l’invention plus aisée à imaginer ; les noms des nombres une fois connus, il est aisé d’en expliquer le sens & d’exciter les idées que ces noms représentent ; mais, pour les inventer il falut, avant quel de concevoir ces mêmes idées, s’être pour ainsi dire familiarisé avec lm méditations philosophiques, s’être exercé à considérer les êtres par leur mule essence & indépendamment de toute autre perception, abstraction très-pénible, très-métaphysique, très-peu naturelle, & sans laquelle cependant ces idées n’eussent jamais pu se transporter d’une espece ou d’un genre à un autre, ni les nombres devenir universels. Un sauvage pouvoit considérer séparément sa jambe droits & sa jambe gauche, ou les regarder ensemble sous l’idée indivisible d’une couple sans jamais penser qu’il en avoit deux ; car autre chose est l’idée représentative qui nous peint un objet, & autre chose l’idée numérique qui le détermine. Moins encore pouvoit-il calculer jusqu’à cinq, & quoique appliquant ses mains l’une sur l’autre, il eût pu remarquer que les doigts se répondoient exactement, il étoit bien loin de songer à leur égalité numérique ; il ne savoit pas plus le compte de ses doigts que de ses cheveux ; & si, après lui avoir fait entendre ce que c’est que nombres, quelqu’un lui eût dit qu’il avoit autant de doigts aux pieds qu’aux mains, il eût peut-être été fort surpris, en les comparant, de trouver que cela étoit vrai.

Pag. 74. (Note 15.)

Il ne faut pas confondre l’amour-propre & l’amour de soi-même, deux passions très-différentes par leur nature & par leurs effets. L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation,