Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/222

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noncer entre eux & le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendroit bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisteroit, & l’association deviendroit nécessairement tyrannique ou vaine.

Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, & comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquiere le même droit qu’on lui cede sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, & plus de force pour conserver ce qu’on a.

Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivans. Chacun de nous met en commun sa personne & toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; & nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.

À l’instant, au lieu de la personne particuliere de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral & collectif, composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie & sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres, prenoit autrefois le nom de Cité [1], & prend maintenant celui de Républi-

  1. (c) Le vrai sens de ce mot s’est presque entierement effacé chez les modernes ; la plupart prennent une ville pour une Cité & un bourgeois pour un Citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les Citoyens font la Cité. Cette même erreur coûta cher autrefois aux Carthaginois. Je n’ai pas lû que le titre de Cives ait jamais été donné aux sujets d’aucun Prince, pas même anciennement aux Macédoniens, ni de nos jours aux Anglois, quoique plus près de la liberté que tous les autres. Les