Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/309

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, composé seulement des membres du Gouvernement, & qui n’est plus rien au reste du Peuple que son maitre & son tiran. De sorte qu’à l’instant que le Gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, & tous les simples Citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d’obéir.

Le même cas arrive aussi quand les membres du Gouvernement usurpent séparément le pouvoir qu’ils ne doivent exercer qu’en corps ; ce qui n’est pas une moindre infraction des loix, & produit encore un plus grand désordre. Alors on a, pour ainsi dire, autant de Princes que de Magistrats, & l’État, non moins divisé que le Gouvernement, périt ou change de forme.

Quand l’État se dissout, l’abus du Gouvernement, quel qu’il soit prend le nom commun d’anarchie. En distinguant, la Démocratie dégénere en Ochlocratie, l’Aristocratie en Olygarchie ; j’ajoûterois que la Royauté dégénere en Tirannie, mais ce dernier mot est équivoque & demande explication.

Dans le sens vulgaire un Tyran est un Roi qui gouverne avec violence & sans égard à la justice & aux loix. Dans le sens précis un Tyran est un particulier qui s’arroge l’autorité royale sans y avoir droit. C’est ainsi que les Grecs entendoient ce mot de Tyran : Ils le donnoient indifféremment aux bons & aux mauvais Princes dont l’autorité n’étoit pas légitime [1].

  1. (b) Omnes enim & habentur & dicuntur Tyranni qui potestate utuntur perpetua, in eà Civitate quæ libertate usa est. Corn. Nep. in Miltiad. : Il est vrai qu’Aristote Mor : Nicom. L. VIII, c. 10 distingue le Tyran du Roi, en ce que le premier gouverne pour sa propre utilité & le se-