Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/341

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que nos magnanimes ancêtres établirent au Village la pépiniere de ces robustes & vaillans hommes qui les défendoient en tems de guerre & les nourrissoient en tems de paix. Pline dit positivement que les Tribus des champs étoient honorées à cause des hommes qui les composoient ; au lieu qu’on transferoit par ignominie dans celles de la Ville les lâches qu’on vouloit avilir. Le Sabin Appius Claudius étant venu s’établir à Rome y fut comblé d’honneurs & inscrit dans une Tribu rustique qui prit dans la suite le nom de sa famille. Enfin les affranchis entroient tous dans les Tribus urbaines, jamais dans les rurales ; & il n’y a pas durant toute la République un seul exemple d’aucun de ces affranchis parvenu à aucune magistrature, quoique devenu Citoyen.

Cette maxime étoit excellente ; mais elle fut poussée si loin, qu’il en résulta enfin un changement & certainement un abus dans la police.

Premiérement, les Censeurs, après s’être arrogés longtems le droit de transférer arbitrairement les citoyens d’une Tribu à l’autre, permirent à la plupart de se faire inscrire dans celle qui leur plaisoit ; permission qui surement n’étoit bonne à rien, & ôtoit un des grands ressorts de la censure. De plus, les Grands & les puissans se faisant tous inscrire dans les Tribus de la campagne, & les affranchis devenus Citoyens restant avec la populace dans celles de la ville, les Tribus en général n’eurent plus de lieu ni de territoire ; mais toutes se trouverent tellement mêlées qu’on ne pouvoit plus discerner les membres de chacune que par les registres, en sorte que l’idée du mot Tribu passa ainsi du réel au personnel, ou plutôt, devint presque une chimere.