Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/361

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La fantaisie qu’eurent les Grecs de retrouver leurs Dieux chez les peuples barbares, vint de celle qu’ils avoient aussi de se regarder comme les Souverains naturels de ces peuples. Mais c’est de nos jours une érudition bien ridicule que celle qui roule sur l’identité des Dieux de diverses nations ; comme si Moloch, Saturne, & Chronos pouvoient être le même Dieu ; comme si le Baal des Phéniciens, le Zeus des Grecs & le Jupiter des Latins pouvoient être le même ; comme s’il pouvoit rester quelque chose commune à des Êtres chimériques portans des noms différens ! Que si l’on demande comment dans le paganisme où chaque État avoit son culte & ses Dieux il n’y avoit point de guerres de Religion ? Je réponds que C’étoit par cela-même que chaque État ayant son culte propre aussi bien que son Gouvernement, ne distingoit point ses Dieux de ses loix. La guerre politique étoit aussi Théologique : les départemens des Dieux étoient, pour ainsi dire, fixés par les bornes des Nations. Le Dieu d’un peuple n’avoit aucun droit sur les autres peuples. Les Dieux des Payens n’étoient point Des dieux Jaloux ; ils partageoient entre eux l’empire du monde : Moyse même & le Peuple Hébreu se prêtoient quelquefois à cette idée en parlant du Dieu d’Israël. Ils regardoient, il est vrai, comme nuls les Dieux des Cananéens, peuples proscrits, voués à la destruction, & dont ils devoient occuper la place ; mais voyez comment ils parloient des divinités des peuples voisins qu’il leur étoit défendu d’attaquer ! La possession de ce qui appartient à Chamos votre Dieu, disoit Jephté aux Ammonites, ne vous est-elle pas légitimement due ? Nous pos-