Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/468

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je crois que voilà la premiere & principale cause de l’anarchie qui regne dans l’Etat. Pour ôter cette cause, je ne vois qu’un moyen : ce n’est pas d’armer les tribunaux particuliers de la force publique contre ces petits tyrans ; car cette force, tantôt mal administrée & tantôt surmontée par une force supérieure pourroit exciter des troubles & des désordres capables d’aller par degrés jusqu’aux guerres civiles : mais c’est d’armer de toute la force exécutive un Corps respectable & permanent tel que le Sénat, capable, par sa consistance & par son autorité de contenir dans leur devoir les Magnats tentés de s’en écarter. Ce moyen me paroît efficace, & le seroit certainement ; mais le danger en seroit terrible & très-difficile à éviter.*

[*W. mss. "et, dans leur devoir, très difficile à éviter."] Car, comme on peut voir dans le Contrat Social, tout Corps dépositaire de la puissance exécutive tend fortement & continuellement à subjuguer la puissance législative, & y parvient tôt ou tard.

Pour parer cet inconvéniens on vous propose de partager le Sénat en plusieurs conseils ou départemens présidés chacun par le ministre chargé de ce département, lequel Ministre ainsi que les membres de chaque Conseil changeroit au bout d’un tems fixé & rouleroit avec ceux des autres départements. Cette idée peut être bonne ; c’étoit celle de l’Abbé de Saint-Pierre, & il l’a bien développée dans sa Polysynodie. La puissance exécutive ainsi divisée & passagere sera plus subordonnée à la législative, & les diverses parties de l’administration seront plus approfondies & mieux traitées séparément. Ne comptez pourtant pas trop sur ce moyen : si elles sont toujours séparées elles manqueront de concert, & bientôt, se contrecarrant mutuellement, elles useront