Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/104

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voir & même au-delà, mes yeux se troubloient, ma poitrine s’oppressoit, ma respiration d’instant en instant plus embarrassée me donnoit beaucoup de peine à gouverner & tout ce que je pouvois faire étoit de filer sans bruit des soupirs fort incommodes dans le silence où nous étions assez souvent. Heureusement Madame Basile occupée à son ouvrage, ne s’en appercevoit pas à ce qu’il me sembloit. Cependant je voyois quelquefois par une sorte de sympathie son fichu se renfler assez fréquemment. Ce dangereux spectacle achevoit de me perdre, & quand j’étois prêt à céder à mon transport, elle m’adressoit quelque mot d’un ton tranquille qui me faisoit rentrer en moi-même à l’instant.

Je la vis plusieurs fois seule de cette maniere, sans que jamais un mot, un geste, un regard même trop expressif marquât entre nous la moindre intelligence. Cet état, très-tourmentant pour moi, faisoit cependant mes délices & à peine dans la simplicité de mon cœur pouvois-je imaginer pourquoi j’étois si tourmenté. Il paroissoit que ces petits tête-à-têtes ne lui déplaisoient pas non plus ; du moins elle en rendoit les occasions assez fréquentes ; soin bien gratuit assurément de sa part pour l’usage qu’elle en faisoit & qu’elle m’en laissoit faire.

Un jour qu’ennuyée des sots colloques du commis, elle avoit monté dans sa chambre, je me hâtai dans l’arriere-boutique où j’étois d’achever ma petite tâche & je la suivis. Sa chambre étoit entr’ouverte ; j’y entrai sans être apperçu. Elle brodoit près d’une fenêtre ayant en face le côté de la chambre opposé à la porte. Elle ne pouvoit me voir entrer