Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

si charmans. Elle s’y est même embellie à mesure que j’ai mieux connu le monde & les femmes. Pour peu qu’elle eût eu d’expérience, elle s’y fût prise autrement pour animer un petit garçon : mais si son cœur étoit foible il étoit honnête ; elle cédoit involontairement au penchant qui l’entraînoit, c’étoit selon toute apparence sa premiere infidélité & j’aurois peut-être eu plus à faire à vaincre sa honte, que la mienne. Sans en être venu-là j’ai goûté près d’elle des douceurs inexprimables. Rien de tout ce que m’a fait sentir la possession des femmes ne vaut les deux minutes que j’ai passées à ses pieds sans même oser toucher à sa robe. Non, il n’y a point de jouissances pareilles à celles que peut donner une honnête femme qu’on aime : tout est faveur auprès d’elle. Un petit signe du doigt, une main légerement pressée contre ma bouche sont les seules faveurs que je reçus jamais de Madame Basile & le souvenir de ces faveurs si légeres me transporte encore en y pensant.

Les deux jours suivans j’eus beau guetter un nouveau tête-à-tête ; il me fut impossible d’en trouver le moment & je n’apperçus de sa part aucun soin pour le ménager. Elle eut même le maintien, non plus froid, mais plus retenu qu’à l’ordinaire, & je crois qu’elle évitoit mes regards de peur de ne pouvoir assez gouverner les siens. Son maudit commis fut plus désolant que jamais. Il devint même railleur, goguenard ; il me dit que je ferois mon chemin près des dames. Je tremblois d’avoir commis quelque indiscrétion, & me regardant déjà comme d’intelligence avec elle, je voulus couvrir du mystere un goût qui jusqu’alors n’en avoit pas grand besoin. Cela me rendit