LES
CONFESSIONS
DE
J. J. ROUSSEAU.
Sorti de chez Madame de Vercellis à-peu-près comme
j’y étois entré, je retournai chez mon ancienne hôtesse, & j’y
restai cinq ou six semaines, durant lesquelles la santé, la jeunesse
& l’oisiveté me rendirent souvent mon tempérament importun.
J’étois inquiet, distrait, rêveur ; je pleurois, je soupirois,
je desirois un bonheur dont je n’avois pas d’idée, &
dont je sentois pourtant la privation. Cet état ne peut se décrire
& peu d’hommes même le peuvent imaginer ; parce que
la plupart ont prévenu cette plénitude de vie, à la fois tourmentante
& délicieuse qui dans l’ivresse du desir donne un
avant-goût de la jouissance. Mon sang allumé remplissoit incessamment
mon cerveau de filles & de femmes, mais n’en sentant
pas le véritable usage, je les occupois bizarrement en idées
à mes fantaisies sans en savoir rien faire de plus ; & ces idées
tenoient mes sens dans une activité très-incommode, dont par
bonheur elles ne m’apprenoient point à me délivrer. J’aurois