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LES

CONFESSIONS

DE

J. J. ROUSSEAU.



LIVRE TROISIEME.


Sorti de chez Madame de Vercellis à-peu-près comme j’y étois entré, je retournai chez mon ancienne hôtesse, & j’y restai cinq ou six semaines, durant lesquelles la santé, la jeunesse & l’oisiveté me rendirent souvent mon tempérament importun. J’étois inquiet, distrait, rêveur ; je pleurois, je soupirois, je desirois un bonheur dont je n’avois pas d’idée, & dont je sentois pourtant la privation. Cet état ne peut se décrire & peu d’hommes même le peuvent imaginer ; parce que la plupart ont prévenu cette plénitude de vie, à la fois tourmentante & délicieuse qui dans l’ivresse du desir donne un avant-goût de la jouissance. Mon sang allumé remplissoit incessamment mon cerveau de filles & de femmes, mais n’en sentant pas le véritable usage, je les occupois bizarrement en idées à mes fantaisies sans en savoir rien faire de plus ; & ces idées tenoient mes sens dans une activité très-incommode, dont par bonheur elles ne m’apprenoient point à me délivrer. J’aurois