Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/127

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d’une fois du plaisir avec lequel je remplissois mon devoir auprès de sa tante ; il le lui avoit même dit & il m’en reparla quand moi-même je n’y songeois plus. Il me reçut bien, me dit que sans m’amuser de promesses vagues il avoit cherché à me placer, qu’il avoit réussi, qu’il me mettoit en chemin de devenir quelque chose, que c’étoit à moi de faire le reste ; que la maison où il me faisoit entrer étoit puissante & considérée, que je n’avois pas besoin d’autres protecteurs pour m’avancer, & que, quoique traité d’abord en simple domestique, comme je venois de l’être, je pouvois être assuré que si l’on me jugeoit par mes sentimens & par ma conduite au-dessus de cet état, on étoit disposé à ne m’y pas laisser. La fin de ce discours démentit cruellement les brillantes espérances que le commencement m’avoit données. Quoi ! toujours laquais ? me dis-je en moi-même avec un dépit amer que la confiance effaça bientôt. Je me sentois trop peu fait pour cette place pour craindre qu’on m’y laissât.

Il me mena chez le Comte de Gouvon premier écuyer de la reine & chef de l’illustre maison de Solar. L’air de dignité de ce respectable vieillard me rendit plus touchante l’affabilité de son accueil. Il m’interrogea avec intérêt & je lui répondis avec sincérité. Il dit au Comte de la Roque que j’avois une physionomie agréable & qui promettoit de l’esprit, qu’il lui paroissoit qu’en effet je n’en manquois pas, mais que ce n’étoit pas là tout & qu’il falloit voir le reste. Puis se tournant vers moi ; mon enfant, me dit-il, presque en toutes choses les commencemens sont rudes ; les vôtres ne le seront pourtant pas beaucoup. Soyez sage & cherchez à plaire ici à tout le monde ;