Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/164

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effroyable dans un diocese administré très-sévérement. Les Prêtres, en bonne regle, ne doivent faire des enfans qu’à des femmes mariées. Pour avoir manqué à cette loi de convenance, il fut mis en prison, diffamé, chassé. Je ne sais s’il aura pu dans la suite rétablir ses affaires ; mais le sentiment de son infortune profondément gravé dans mon cœur me revint quand j’écrivis l’Emile, & réunissant M. Gâtier avec M. Gaime, je fis de ces deux dignes prêtres l’original du Vicaire Savoyard. Je me flatte que l’imitation n’a pas déshonoré ses modeles.

Pendant que j’étois au séminaire, M. d’Aubonne fut obligé de quitter Annecy. M***

[Intendant] s’avisa de trouver mauvais qu’il fît l’amour à sa femme. C’étoit faire comme le chien du jardinier ; car quoique Madame***

[Corvezi] fût aimable, il vivoit fort mal avec elle : & il la traitoit si brutalement qu’il fut question de séparation. M ***

[Corvezi] étoit un vilain homme, noir comme une taupe, fripon comme une chouette & qui à force de vexations, finit par se faire chasser lui-même. On dit que les Provençaux se vengent de leurs ennemis par des chansons ; M. d’Aubonne se vengea du sien par une comédie : il envoya cette piece à Madame de Warens qui me la fit voir. Elle me plut & me fit naître la fantaisie d’en faire une pour essayer si j’étois en effet aussi bête que l’auteur l’avoit prononcé : mais ce ne fut qu’à Chambéri que j’exécutai ce projet en écrivant l’Amant de lui-même. Ainsi quand j’ai dit dans la préface de cette piece que je l’avois écrite à dix-huit ans, j’ai menti de quelques années.

C’est à-peu-près à ce tems-ci que se rapporte un événement