Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/185

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Hé bien cet avantage se présentoit encore & il ne tint encore qu’à moi d’en profiter. Que j’aime à tomber de tems en tems sur les momens agréables de ma jeunesse ! Ils m’étoient si doux ; ils ont été si courts, si rares & je les ai goûtés à si bon marché ! Ah ! leur seul souvenir rend encore à mon cœur une volupté pure dont j’ai besoin pour animer mon courage & soutenir les ennuis du reste de mes ans.

L’aurore un matin me parut si belle que m’étant habillé précipitamment, je me hâtai de gagner la campagne pour voir lever le soleil. Je goûtai ce plaisir dans tout son charme ; c’étoit la semaine après la St. Jean. La terre dans sa plus grande parure étoit couverte d’herbe & de fleurs ; les rossignols presque à la fin de leur ramage sembloient se plaire à le renforcer ; tous les oiseaux faisant en concert leurs adieux au printems, chantoient la naissance d’un beau jour d’été, d’un de ces jours qu’on ne voit plus à mon âge & qu’on n’a jamais vus dans le triste sol que j’habite aujourd’hui.

Je m’étois insensiblement éloigné de la ville, la chaleur augmentoit & je me promenois sous des ombrages dans un vallon le long d’un ruisseau. J’entends derriere moi des pas de chevaux & des voix de filles qui sembloient embarrassées, mais qui n’en rioient pas de moins bon cœur. Je me retourne, on m’appelle par mon nom, j’approche, je trouve deux jeunes personnes de ma connoissance, Mademoiselle de G***

[Graffenried] & Mademoiselle Galley, qui n’étant pas d’excellentes cavalieres ne savoient comment forcer leurs chevaux à passer le ruisseau. Mademoiselle de G

[Graffenreid] étoit une jeune Bernoise fort aimable, qui par quelque folie de son âge ayant été jetée hors de son