Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/203

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par m’informer d’une petite auberge où l’on pût être assez bien & à bon marché. On m’enseigna un nommé Perrotet, qui tenoit des pensionnaires. Ce Perrotet se trouva être le meilleur homme du monde & me reçut fort bien. Je lui contai mes petits mensonges comme je les avois arrangés. Il me promit de parler de moi & de tâcher de me procurer des écoliers ; il me dit qu’il ne me demanderoit de l’argent que quand j’en aurois gagné. Sa pension étoit de cinq écus blancs ; ce qui étoit peu pour la chose, mais beaucoup pour moi. Il me conseilla de ne me mettre d’abord qu’à la demi-pension, qui consistoit pour le dîné en une bonne soupe & rien de plus, mais bien à souper le soir. J’y consentis. Ce pauvre Perrotet me fit toutes ces avances du meilleur cœur du monde & n’épargnoit rien pour m’être utile.

Pourquoi faut-il qu’ayant trouvé tant de bonnes gens dans ma jeunesse j’en trouve si peu dans un âge avancé, leur race est-elle épuisée ? Non ; mais l’ordre où j’ai besoin de les chercher aujourd’hui n’est plus le même où je les trouvois alors. Parmi le peuple où les grandes passions ne parlent que par intervalles les sentimens de la nature se font plus souvent entendre. Dans les états plus élevés ils sont étouffés absolument & sous le masque du sentiment il n’y a jamais que l’intérêt ou la vanité qui parle.

J’écrivis de Lausanne à mon pere qui m’envoya mon paquet & me marqua d’excellentes choses dont j’aurois dû mieux profiter. J’ai déjà noté des momens de délire inconcevables où je n’étois plus moi-même. En voici encore un des plus marqués. Pour comprendre à quel point la tête me tournoit alors,